Il a roulé sa bosse entre slogans publicitaires et aphorismes décapants, entre talk-shows dérangés et faux débats très vrais. Thierry Ardisson est mort et c’est comme si la télé française perdait son insolence, son noir profond et ses derniers éclats de provocation assumée.



Les racines catholiques d’un iconoclaste
Niçois, Il naît dans la Creuse dans une famille modeste, entre crucifix au mur et petits matins disciplinés. On lui parle de Dieu, de devoir et de rigueur. Très vite, il comprend que rien de tout cela ne suffira à nourrir son appétit. L’enfant est révolté, l’ado erratique. Il collectionne les établissements scolaires comme d’autres les disques vinyles, jusqu’à décrocher son bac en 1966. Mais très vite, cap sur Paris, cap sur la lumière.
La pub, laboratoire de punchlines
Avant de s’approprier les plateaux télé, le jeune homme s’échauffe dans la publicité. Il manie les slogans comme des haïkus modernes, percutants, absurdes, brillants. “Lapeyre, y’en a pas deux”, “Vas-y Wasa”, derrière la légèreté apparente, un sens aigu du marketing et de la formule. Il fonde “Business”, sa propre agence, et s’enrichit en devenant ce qu’il appelle lui-même un “vénal chic”. Mais l’argent ne suffit pas. Il lui faut le regard du public, les silences entre deux questions, les malaises en direct.




Bains de minuit et lunettes noires
Arrivent les années 80, le grand théâtre des ego. Thierry Ardisson plante ses premiers décors avec “Bains de Minuit” et “Lunettes noires pour nuits blanches”. L’esthétique est sombre, l’ambiance décalée, l’approche quasi dadaïste. Il mélange stars, inconnus, poètes fumeux et freaks médiatiques dans un joyeux capharnaüm visuel. La télé devient salon, confessionnal, bar lounge.
“Rive Droite / Rive Gauche”, la classe avant le clash
En 1997, Thierry Ardisson co-réalise avec Stéphane Simon une émission qui deviendra culte dans les cercles parisiens. “Rive Droite / Rive Gauche” s’installe sur Paris Première, dans une ambiance feutrée, à la fois chic et provoc. Deux côtés, deux camps, l’un culturel, l’autre people. Les invités changent de fauteuil, les arguments fusent, les regards glissent. Mais contrairement aux clashs télé d’aujourd’hui, ici, on prend le temps. On pose une ambiance. L’homme en noir joue les chefs d’orchestre élégants, amateur de punchlines mais jamais vulgaire. L’émission devient une vitrine de ce qu’il aime : l’intelligence qui provoque, le divertissement qui pense, le snobisme qui doute.





“Tout le monde en parle”, l’apogée du maître du samedi soir
Le vrai raz-de-marée arrive avec “Tout le monde en parle” sur France 2. Là, Ardisson explose. Il prend le samedi soir, l’étrangle un peu, puis le rhabille d’irrévérence et de tension joyeuse. Les invités s’assoient, s’expliquent, s’engueulent. On ne sait jamais vraiment ce qui est prévu et c’est précisément ce qui plaît. Il révèle des noms : Laurent Baffie, Laurent Ruquier, Frederic Beigbeder, Maïtena Biraben, Kad et Olivier, Gaspard Proust. Il ne lance pas des carrières, il catapulte. Les patrons de chaînes font la queue pour acheter ses concepts, souvent trop radicaux pour le prime time mais trop brillants pour être ignorés.
L’homme derrière les lunettes noires
Derrière le provocateur, il y a le stratège. Thierry Ardisson est aussi patron de presse (“Entrevue”, “Frou-Frou Mag”), romancier, producteur de cinéma (“Max”, “Comment c’est loin”). Il transforme sa vision du monde en entreprise à multiple facettes. Monarchiste assumé, libertarien sans complexe, il assume tout, y compris ses contradictions. Marié trois fois, père de trois enfants, propriétaire d’un haras en Normandie, Ardisson est un homme qui mêle luxe discret et verbe tranchant. Il ne cherche pas le consensus, il le pulvérise.
Styliste du scandale
Le dernier à oser l’insolence comme genre “Je suis vénal, j’aime l’argent.” Cette phrase, lâchée comme un uppercut au JDD, résume son rapport au monde : frontal, sans fard, presque brutal. Mais ce cynisme affiché cache un esthète, un amoureux des mots, un homme de style.




Une empreinte
Avec sa disparition, c’est tout un pan de la télévision qui se tait. Thierry Ardisson ne faisait pas du divertissement, il mettait le réel en scène, avec des guitares punk en bande-son et des rires nerveux en bonus. Il a quitté le plateau, mais on entend encore son rire sec dans les génériques d’antan. Et si la télé a perdu son prince noir, elle n’oubliera jamais son règne. Pour clore le chapitre, il a accepté une ultime interview, depuis l’au-delà, lunettes noires vissées sur le nez et sarcasme dans la voix. Dialogue avec un fantôme médiatique bien vivant.
Hommage par une Interview posthume fictive
Thierry, vous êtes… mort. Et pourtant vous avez accepté cette interview. Vous avez toujours aimé les paradoxes ?
Mort, vivant… Ce sont des concepts. Moi, je suis dans la continuité audiovisuelle. Tant qu’on parle de moi, je suis en vie. Et là, vu le bruit que ça fait, je suis carrément ressuscité.
Quelle serait votre nécro idéale ?
“Il a révolutionné la télé française, provoqué les censeurs et épousé la meilleure journaliste du pays.” Bref, une carrière et un CV conjugaux bien remplis. Mais surtout, qu’on ne me réduise pas à mes lunettes noires. Ce sont mes idées qui étaient fumées.
On dit que vous avez été vénal, provocateur, monarchiste, libertarien… Vous validez ?
Je suis un cocktail Molotov dans un flacon Hermès. J’aime l’argent parce que ça permet de dire merde avec élégance. Quant à mes convictions, elles sont comme mes émissions : changeantes, piquantes et jamais consensuelles.
Parlons de “Rive Droite / Rive Gauche”… C’est votre œuvre la plus sophistiquée ?
Ah, celle-là, c’était mon salon littéraire à moi. Côté gauche, on pensait. Côté droit, on brillait. Et moi, je faisais la navette en noir, comme Charon sur la Seine. L’émission, c’était un dîner chic avec des petits pois anarchistes.
“Tout le monde en parle” a marqué une génération. Qu’est-ce qui vous plaisait le plus dans ce format ?
Le bordel contrôlé. C’était mon Bacchus télévisé. Un plateau où tout le monde pouvait dire tout et n’importe quoi, mais en restant assez intelligent pour provoquer sans sombrer. J’étais l’animateur qui animait les désaccords.
Vous avez aussi produit des films, lancé des magazines, écrit des livres… Une boulimie créative ?
Non, une terreur du silence. Si je m’arrête, je disparais. Alors j’ai fabriqué du bruit de qualité : “Frou-Frou Mag”, “Entrevue”, des romans provoc’, du cinéma pop… Même mon haras en Normandie est un lieu de brainstorming équin.
Vous avez lancé une galaxie de talents. Lequel vous ressemble le plus ?
Aucun. Je suis le seul à pouvoir faire du Ardisson sans faire du déjà-vu. Les autres brillent, mais je suis le néon original, celui qui clignote en rouge quand ça chauffe.
Une dernière punchline pour conclure ?
Oui. “La mort, c’est comme le CSA : ça veut censurer, mais on finit toujours par revenir.”
(Interview fictive)




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Télévision (émissions) 1985 : « Descente de police » (TF1),
1985 — 1986 : « Scoop à la une » (TF1).
1987 — 1988 : « Bains de Minuit » (La Cinq) m
1988 — 1990 : « Lunettes noires pour nuits blanches » (Antenne 2)
1995 — 1996 : « Paris Dernière » (Paris Première)
1997 — 2003 : « Rive Droite/Rive Gauche » (Paris Première)
1998 — 2005 : « Tout le monde en parle », (France 2)
2003 — 2005 : « 93, Faubourg Saint Honoré (Paris Première)
2006 — 2018 : « Salut Les Terriens » (Canal+ et C8 à partir de 2016).
2018 — 2019 : « Les Terriens du samedi »/« Les Terriens du dimanche »
Littérature
Cinemoi, Le Seuil, 1972.
La Bilbe, Le Seuil, 1975.
Rive Droite, Albin Michel, 1983.
Descentes de Police, LTM, 1985.
Louis XX, Olivier Orban, 1986.
Dix ans pour rien ? Les Années 80, Le Rocher,1990.
Rive droite, Magazine de Littérature, Albin Michel/Le Rocher, 1990–1992
Pondichéry, Albin Michel, 1993.
Les années Provoc, Flammarion, 1998.
Confessions d’un baby-boomer, entretiens avec Philippe Kiefer, Flammarion, 2005.
Les Fantômes des Tuileries, Flammarion, 2017.







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